jeudi 10 mai 2018

La lutte contre l'esclavage aujourd'hui


En souvenir de monsieur S.
En hommage à Biram Dah Abeid et à tous les militants d'IRA Mauritanie




Marseille, 2007 ap. J.-C.

J’ai rencontré un homme au regard pétillant, grand, bien proportionné, au sourire franc. Le lobe de son oreille gauche était sectionné. «C’est, me dit-il, la marque des esclaves rebelles. Chez moi là-bas, en Mauritanie, quiconque me voit le sait : je me suis révolté et j’ai été puni, je suis un esclave rebelle. Et si je suis repris, je serai rendu à mon maître et qui sait ce qu’il fera de moi, l’esclave enfui. Je n’aurai d’autre loi que lui.»
«Vous savez,» me dit cet homme, «quand j’étais enfant je vivais au désert. J’élevais des chèvres et quelques chameaux, je traitais bien les troupeaux, je leur trouvais à boire en creusant dans le sable et puis moi, après seulement, je buvais. Vous savez le patron était content de moi, quand il venait nous visiter il me félicitait et moi j’étais content d’être complimenté. C’était comme ça, quand le patron venait on devait lui servir à boire et à manger, nous les enfants pasteurs, on devait lui verser le thé, et délasser ses muscles fatigués, longtemps, longtemps le masser. C’était comme ça. Les enfants du patron allaient à l’école, ils apprenaient à lire et à compter, pas nous. C’est comme ça là-bas, si deux esclaves se marient, la femme va servir le maître de son mari, mais les enfants appartiennent au patron de la mère, ils retournent travailler chez lui. Moi je me suis révolté, parce que j’ai vu les enfants de mon maître, avec qui je grandissais, qui allaient à l’école et moi je restais garder les chèvres, j’ai remarqué qu’ils n’étaient pas traités comme nous. J’étais une forte tête. Je me suis fait remarquer. C’est pour ça que le neveu du patron m’a emmené avec lui, quand j’ai été plus grand, pour conduire le camion, pour m’éloigner des autres, pour me mater. Je n’avais pas le permis mais c’est moi qui conduisais et quand on arrivait en ville il reprenait le volant. Pendant que je conduisais lui il se reposait. Et quand le camion s’enlisait, il fallait placer sous les roues de grandes plaques de tôle pour le faire repartir, c’est nous qui le faisions, le patron conduisait et nous on mettait les tôles et le camion une fois redémarré devait continuer sur sa lancée, un kilomètre ou deux nous marchions sur la piste, portant les tôles sur nos têtes, à bout de bras, jusqu’à retrouver le camion. Et tout l’argent que je gagnais, parce qu’on travaillait avec les camions pour une société française, tout l’argent je devais le reverser au patron.»

Quand j’ai raconté l’enfance de Priam, c’est à ce monsieur que j’ai pensé. Je le revois me dire avec un haussement d’épaules : «C’était comme ça, à l’époque je ne connaissais rien d’autre et je trouvais ça normal».


Deux ans plus tard, j'ai fait la connaissance de Biram Dah Abeid. Son combat contre l'esclavage qui perdure en Mauritanie, ses qualités exceptionnelles, son humanisme, son empathie, sa dévotion aux autres, son sens de l'homme et de la justice, m'ont profondément touchée.
Que ces lignes me permettent d'exprimer l'immense estime que j'ai pour lui, et de lui témoigner de mon amitiés, ainsi qu'aux autres militants que j'ai eu l'honneur de rencontrer, Leila Abeid, Mohameden Dah, Hamady Lehbous, et leurs soutiens d'IRA-France-Mauritanie, Marie et Jean-Marc Pelenc en premier lieu.


Texte à retrouver dans le Palimpseste de la semaine

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