Corderie

Marque de carrier, v. 100 av. J.-C.
Musée d'Histoire de Marseille

On a découvert à Marseille le site d’une carrière antique, boulevard de la Corderie, sur les hauteurs du Vieux-Port. Côté Sud. Les colons grecs, arrivant de Phocée, construisirent les premières maisons de la ville sur la rive d’en face, en contrebas de la butte Saint-Laurent.
En quelques lignes, déjà, ces noms de Corderie, Saint-Laurent, et Vieux-Port, nous font traverser l’épaisseur des siècles, l’écriture de l’histoire, l’accumulation, les strates. Sur le site de la Corderie, les archéologues de l’INRAP ont mené une fouille préventive. Ils ont daté les vestiges du VIe siècle avant Jésus-Christ : ce sont les pierres qui ont bâti Marseille à ses débuts. Maintenant la carrière doit être démolie pour la construction d’un immeuble. La ville continue de vivre sa vie, la population croît, les promoteurs ont leurs affaires à faire. Dans le quartier, des habitants ont constitué un comité pour demander la sauvegarde des vestiges. Il reste si peu de choses de la cité antique, quelques bouts de mur sur le site de la Bourse, un et un seul chapiteau ionique, tout cabossé, au Musée d’histoire de la ville, des citernes, peut-être, sous la place de Lenche. Alors ces restes en creux sont précieux.
Là est / n’est plus / était la matière de la maison de Gyptis et Protis.
Là est l’image en creux du temple d’Athéna qui se dressait, en face, rive Nord du Lacydon, avec toute la ville.
Les carrières voisines de Saint-Victor, et leur beau front de taille visible dans les cryptes de l’abbaye, ne font pas le même effet. Elles sont chargées de toute une tradition, les premiers chrétiens de Provence, Madeleine et Lazare, elles sentent la fleur d’oranger des navettes qu’on mange en février, et l’argile des santons, elle ont été cimetière, elles sont lieu de culte, elles soutiennent tout le poids de l’église médiévale.
À la Corderie au contraire, l’empreinte du passé le plus lointain de la ville ne s’imprime que dans l’air. Il y a de la pierre, oui, mais ce n’est pas elle qui nous retient. On trouve la même roche un peu plus loin, un peu plus haut, sur toute la colline de la Garde, et plus bas vers le port. Ce qui compte, c’est la marque de l’évidement, la trace du vide laissé par le transport des blocs de calcaire sur la rive opposée.

Carrier, qui étais-tu ?


Laure Humbel
mis en ligne le 7 décembre 2017