jeudi 31 mai 2018

L'esclave gauloise de Pythéas

In extremis, voici le texte du mois de mai : L'esclave gauloise de Pythéas (Première partie, le départ), pour voyager de l'île celtique d'Ouessant à Marseille la grecque.



Les marins du bord se moquent d’elle, parce qu’elle n’arrive pas à prononcer leur nom, ni celui du commandant de l’expédition : Pythéas de Massalia. Le destin de ces hommes est désormais lié au sien. Ils l’ont emportée. À cause d’eux elle a quitté son île. Sur le bateau, elle le sait, ils la laisseront tranquilles.
Elle quitte son île pour la première et la dernière fois. Elle le sait : elle ne reviendra pas. Son île, Uxisama, est au centre du monde, exactement. À certaines grandes marées, on y voit le soleil se lever au moment même où la lune se couche. Les druides savent ces choses à l’avance. Il faut en remercier les dieux. Elle regarde s’éloigner les hautes falaises grises. Elle garde dans le cœur l’image de son village et des champs alentour, de la lande où battent les vents, où fleurit la bruyère, où courent les lapins...

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samedi 26 mai 2018

Fadia Nicé, Marseille et la biofiction


Fadia Nicé, abordas-tu jamais au port de Massilia ?



Ce serait vraiment par trop extraordinaire que la Fortune t’ait fait poser les yeux sur la colline où tu reposes aujourd’hui : sinon tes cendres, dispersées au vent d’Ostie par l’irrespectueuse main d’archéologues sans scrupules, du moins leur réceptacle, cette petite urne de pierre qui d’un recoin du Musée d’archéologie m’a menée jusqu’ici. Et je me fais scrupule, moi, de t’y mener aussi. Qui suis-je, Fadia Nicé, pour réécrire ainsi ta vie sans mandat de ta part ?
Si tu étais un personnage célèbre, cela ne me dérangerait aucunement de rafistoler à ma façon les débris d’une existence que, par soif de gloire ou de pouvoir, tu aurais voulue publique, et que par conséquent tu m’aurais donné le droit d’arranger à ma sauce. Mais toi, humble parmi les humbles, toi qui ne t’appelles ni César ni Cléopâtre, tu n’as eu qu’une vie et je te la pastiche. J’anticipe même sur ton post mortem en te faisant toucher à Marseille. Remarque que j’ai la délicatesse de ne pas t’y faire débarquer. Tu as encore des années à vivre, et je te les souhaite heureuses, sous le ciel latin. Ce ciel latin qu’en vrai, tu as peut-être eu toute ta vie au-dessus de la tête. Pourquoi toutes ces péripéties, et a-t-on besoin, pour être affranchie de Sextus Fadius Secundus Musa, d’avoir logé dans sa maison de Narbonne ? Absolument pas ! Le bonhomme possédait sans aucun doute un bon paquet d’esclaves en Italie. Alors voilà, on reprendrait tout et on dirait que tu serais née à Ostie d’une esclave de la compagnie et qu’on t’aurait casée, pas contre ton gré mais sans te demander ton avis, avec le fils d’une autre esclave des naviculaires, et que tu aurais mené une existence obscure, sans tumulte ni péripéties, presque pépère et entourée des tiens, dans ce milieu prospère des négociants en huile. Ça te plaît comme ça ? Ça te va mieux ? Eh bien pas à moi. Parce qu’après tout zut ! Ce n’est peut-être pas ta vie, mais c’est mon histoire : je continue.



Texte à retrouver dans le Palimpseste de la semaine

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jeudi 10 mai 2018

La lutte contre l'esclavage aujourd'hui


En souvenir de monsieur S.
En hommage à Biram Dah Abeid et à tous les militants d'IRA Mauritanie




Marseille, 2007 ap. J.-C.

J’ai rencontré un homme au regard pétillant, grand, bien proportionné, au sourire franc. Le lobe de son oreille gauche était sectionné. «C’est, me dit-il, la marque des esclaves rebelles. Chez moi là-bas, en Mauritanie, quiconque me voit le sait : je me suis révolté et j’ai été puni, je suis un esclave rebelle. Et si je suis repris, je serai rendu à mon maître et qui sait ce qu’il fera de moi, l’esclave enfui. Je n’aurai d’autre loi que lui.»
«Vous savez,» me dit cet homme, «quand j’étais enfant je vivais au désert. J’élevais des chèvres et quelques chameaux, je traitais bien les troupeaux, je leur trouvais à boire en creusant dans le sable et puis moi, après seulement, je buvais. Vous savez le patron était content de moi, quand il venait nous visiter il me félicitait et moi j’étais content d’être complimenté. C’était comme ça, quand le patron venait on devait lui servir à boire et à manger, nous les enfants pasteurs, on devait lui verser le thé, et délasser ses muscles fatigués, longtemps, longtemps le masser. C’était comme ça. Les enfants du patron allaient à l’école, ils apprenaient à lire et à compter, pas nous. C’est comme ça là-bas, si deux esclaves se marient, la femme va servir le maître de son mari, mais les enfants appartiennent au patron de la mère, ils retournent travailler chez lui. Moi je me suis révolté, parce que j’ai vu les enfants de mon maître, avec qui je grandissais, qui allaient à l’école et moi je restais garder les chèvres, j’ai remarqué qu’ils n’étaient pas traités comme nous. J’étais une forte tête. Je me suis fait remarquer. C’est pour ça que le neveu du patron m’a emmené avec lui, quand j’ai été plus grand, pour conduire le camion, pour m’éloigner des autres, pour me mater. Je n’avais pas le permis mais c’est moi qui conduisais et quand on arrivait en ville il reprenait le volant. Pendant que je conduisais lui il se reposait. Et quand le camion s’enlisait, il fallait placer sous les roues de grandes plaques de tôle pour le faire repartir, c’est nous qui le faisions, le patron conduisait et nous on mettait les tôles et le camion une fois redémarré devait continuer sur sa lancée, un kilomètre ou deux nous marchions sur la piste, portant les tôles sur nos têtes, à bout de bras, jusqu’à retrouver le camion. Et tout l’argent que je gagnais, parce qu’on travaillait avec les camions pour une société française, tout l’argent je devais le reverser au patron.»

Quand j’ai raconté l’enfance de Priam, c’est à ce monsieur que j’ai pensé. Je le revois me dire avec un haussement d’épaules : «C’était comme ça, à l’époque je ne connaissais rien d’autre et je trouvais ça normal».


Deux ans plus tard, j'ai fait la connaissance de Biram Dah Abeid. Son combat contre l'esclavage qui perdure en Mauritanie, ses qualités exceptionnelles, son humanisme, son empathie, sa dévotion aux autres, son sens de l'homme et de la justice, m'ont profondément touchée.
Que ces lignes me permettent d'exprimer l'immense estime que j'ai pour lui, et de lui témoigner de mon amitiés, ainsi qu'aux autres militants que j'ai eu l'honneur de rencontrer, Leila Abeid, Mohameden Dah, Hamady Lehbous, et leurs soutiens d'IRA-France-Mauritanie, Marie et Jean-Marc Pelenc en premier lieu.


Texte à retrouver dans le Palimpseste de la semaine

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