à Pénélope
C’est un nœud sans histoire. Il succède simplement à un autre nœud. Un nœud simple sur un fil. Puis un autre nœud. Un autre encore et puis un autre. Le fil tenu entre le pouce et l’index, enroulé autour du doigt, tiré, forme un nœud tout petit, tout dur entre le bout des doigts. L’aiguille pique. Encore. Encore. Un autre nœud sans histoire. C’est tout.
A-t-elle une histoire ? Elle a une vie mais a-t-elle une histoire ? Qu’appelle-t-on avoir une histoire ? Avoir quelque chose à raconter sur sa vie ? On lui a tellement répété de ne pas faire d’histoires !
Ne sutor supra crepidam. Traduction : "Savetier, pas plus haut que la savate !" Ou : "Cordonnier, reste-s-en à tes lacets !" Ne rêvons-nous pas tous d’une vie sans histoires ? Vraiment ?
Les gens n’aiment rien tant que se raconter des histoires. Ils n’ont pourtant qu’une vie.
La tapisserie de la reine Mathilde est, techniquement parlant, une broderie. Elle tisse un récit qui déroule sa trame. Les nœuds forment une chaîne. On suit le fil du récit, saynète après saynète. Même les chevaux ont des cottes de maille. Brode-t-on toujours sur la réalité ?
Dans le film Brodeuses d'Eléonore Faucher, l’héroïne a des collants vert émeraude avec une jupe aubergine, des collants couleur citrouille avec une autre tenue. Elle échange les choux de ses parents contre les peaux de lapins de son voisin, et elle finit chez Dior. Ou Lacroix. Elle ne file jamais une maille. Jamais ?
La vie ne tient qu’à un fil
dit l'araignée
dit la funambule
dit l’électricien
dit le ver à soie
C’est un foulard sans histoire, noué et dénoué, si doux autour du cou, si doux au bout des doigts.
Laure Humbel
mis en ligne le 11 avril 2018